jeudi 29 juillet 2010

[Article] L'histoire de l'éducation maltraitée

Paru dans Le Monde le 29/07/10

Cette discipline, plus nécessaire que jamais, est devenue le parent pauvre des universités.
Rares sont les mobilisations estivales. Raison de plus pour prêter attention à celle des historiens aujourd'hui. L'enjeu en est le Service d'histoire de l'éducation (SHE) de l'Institut national de la recherche pédagogique (INRP), dont l'existence semble menacée. On jure qu'il n'en est rien. Mais le renvoi, à deux mois de son départ en retraite, d'un directeur dont la compétence est unanimement reconnue, joint à la dissolution d'un comité scientifique largement ouvert aux universitaires et chercheurs du domaine, donne corps à des inquiétudes aux causes multiples.
La restructuration prévue de l'INRP, auquel est rattaché le SHE ; l'accent mis sur Lyon alors que le SHE est à Paris, près des Archives ; la menace de renvoi dans leurs lycées des professeurs détachés du second degré qui assurent les recherches ; la vacance prolongée de postes libérés, font légitimement craindre une refonte en forme de fonte pure et simple. Ces projets, dont on ne sait s'ils sont encore vagues ou si l'on préfère ne pas les divulguer, suscitent l'indignation de tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'éducation. Pour deux raisons.
D'abord, l'histoire de l'éducation est un immense chantier. Peu d'activités ont autant d'importance pour la société, quantitativement et qualitativement. Or, ce chantier est délaissé par la plupart des universités, comme l'histoire des sciences ou celle des pays lointains (Inde, Chine ou Japon), pour une raison simple, mais forte : les universités ont privilégié leur fonction d'enseignement.
Quand elles recrutent un professeur ou un maître de conférences, elles valorisent les compétences générales qui permettent d'assurer les cours et travaux dirigés (TD), de licence ou de master sur l'histoire de la France, à la rigueur des grands pays voisins ou des Etats-Unis, plutôt que les profils de recherche pointus.
Formation d'excellence
C'est pourquoi l'histoire des sciences ou celle des pays lointains s'est développée essentiellement en dehors des universités, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, au Collège de France. Il en va de même pour celle de l'éducation : en dehors du SHE, il n'y a pas de centre de recherche sur ce domaine, et seulement deux chaires dans les universités. La disparition ou l'affaiblissement du SHE laisserait un trou béant dans le dispositif de recherche en histoire.
Or, il se trouve que le SHE fait, depuis quarante ans, un travail exceptionnel sur l'histoire de l'institution scolaire, des manuels, des personnels et de leurs statuts, de l'enseignement technique, de la lecture. C'est le seul lieu où l'on travaille à l'histoire des disciplines scolaires ou à celle des universités contemporaines. Dès sa création, il a réalisé de nombreux guides et outils de recherche, dictionnaires, inventaires de textes, bibliographies raisonnées et systématiques. La revue qu'il publie a été classée au meilleur rang. C'est une formation d'excellence, reconnue comme telle, qui collabore avec de nombreux établissements d'enseignement supérieur français et étranger. Sa notoriété internationale est enviable. La liquider au moment où l'on affiche la volonté de promouvoir une politique de l'excellence serait à tout le moins paradoxal.
La solution ne semble pourtant pas compliquée : tout en laissant le SHE à l'INRP, auquel il peut apporter beaucoup plus qu'il ne le fait aujourd'hui, il faut lui donner un vrai statut d'unité mixte de recherche et lui maintenir ses moyens. C'est une question de bonne volonté et de volonté tout court. Sauf à croire que moins on travaille sur l'éducation, mieux elle se porte.
Antoine Prost

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